Édito : Assistant·e social·e, métier en pénurie

18/03/2024

Assistant·e social·e, métier en pénurie… La situation voudrait nous appeler ailleurs.
La situation, la logique, l’éthique ou les valeurs. A partir de là où nous sommes, la responsabilité ressentie de prendre soin du vivant, humains et non humains, nous appelle avec urgence.
Il faut bien avouer que souvent nous ne comprenons pas. Nous ne comprenons pas ou nous n’acceptons pas que la question du soin ne soit pas le cœur du fonctionnement de nos sociétés et de nos économies. Aujourd’hui encore, il reste plus avantageux de travailler dans une entreprise polluante (le secteur des énergies fossiles ou l’aviation), productrice d’objets inutiles ou même qui contribue au creusement des inégalités (les banques par hasard) que de travailler dans le soin. Aujourd’hui encore, malgré le fait que les forêts et les banlieues s’enflamment, les professions du soin ne reçoivent pas l’attention nécessaire à leur survie.

Assistant·e social·e, métier en pénurie… Nous ouvrons grand les yeux. Nous en sommes donc déjà là. Nous avons laissé la ligne rouge se franchir sans crier. Nous sommes resté·e·s affairé·e·s sur le terrain, avec cette colère enfouie et cette indignation sourde. Ils·Elles ont besoin de nous, il ne s’agit donc pas de s’arrêter. Les crises nous passent dessus. Nous tentons de prendre la vague, une de plus. La vague sanitaire, celle de la guerre en Ukraine, la crise de l’énergie… De plein fouet, au premier rang, juste là, les déferlantes. S’organiser, s’ajuster, faire plus de colis, trouver plus de logements, mettre les sans chez soi à l’abri, nourrir les nouveaux·elles venu·e·s (le minimum). Puis la crise du crack, la gare du nord puis celle du midi. Nos dirigeant·e·s sont mécontent·e·s. Ils·Elles voudraient de la sécurité, de la propreté, des villes calmes et agréables. Un à un, les secteurs crient pourtant leur désarroi. L’aide à l’enfance, suivie de près par l’aide à la jeunesse. Les CPAS, les services d’aide aux sans-abris et les services d’aide aux détenu·e·s. Et c’est sans compter tous ceux·celles qui voudraient dire, ceux·celles qui ne se font pas entendre et ceux·celles qui se sont habitué·e·s. Trop silencieusement, certains services ferment ou déménagent. Réduisent la voilure. Ils·Elles ne tiennent plus. Trop d’insécurité pour eux·elles aussi. A leur porte, sur leurs bras. Pas assez de bras d’ailleurs, pour éponger les dégâts de ce qui n’a pas été pensé. Ils·Elles ne peuvent pas à eux seuls compenser, ni les CPAS, ni les autres.

Assistant·e social·e, métier en pénurie… L’indignité, nous dit Cynthia Fleury, ce n’est pas d’avoir à traverser des épreuves. C’est de traverser des épreuves d’une certaine façon : sans respect, sans équité, sans reconnaissance, sans solidarité. Aujourd’hui, les travailleur·euse·s du soin sont mis·e·s dans des conditions de travail qui les forcent de se conduire de manière indigne. Dans l’excellent documentaire Le balais libéré, le témoignage d’une aide-ménagère est éloquent. Elle nous explique avoir quitté le secteur médical pour préférer le secteur du ménage. Négliger la toilette des patients, par manque de temps, l’empêchait de dormir. La culpabilité du mal prendre soin. Mais quand on laisse de la poussière sur une table, nous confie-t-elle, la table au moins, elle ne souffre pas.

Assistant·e social·e, métier en pénurie… Ça n’augure rien de bon pour nous. Il faut le revendiquer avec force, la question du soin ne peut pas être régie par une éthique utilitariste. Nous ne devons pas nous habituer, nous ne devons pas nous accoutumer. Aujourd’hui, nous sommes témoins de pans entiers de travailleur·euse·s du soin qui, par survie ou pour éviter cette souffrance éthique, s’accommodent à l’inacceptable. Des travailleur·euse·s mais aussi des directeur·trices. Des directeurs·trice·s d’associations mais aussi des fonctionnaires d’administration. Certaines institutions publiques, censées être garantes de nos conditions dignes de travail, sont aussi en perte de sens et dans l’incapacité d’exercer leurs métiers dignement. Dans un monde qui met le nombre devant tout, soutenu par la déferlante du new public management, l’essoufflement a eu raison du secteur…

Assistant·e social·e, métier en pénurie… Ce que nous avons besoin c’est de rendre ces métiers et ces secteurs robustes, plus que jamais. Et la robustesse, c’est le contraire de cette fragilité. La robustesse, c’est le contraire de la performance qui épuise les systèmes et les humains. La robustesse, ce n’est pas d’essayer d’atteindre son objectif avec le moins de moyens possibles. La robustesse est un système qui repose sur la richesse des interactions [1]. Pour cela, il faut du temps, de l’espace et, face aux populations les plus fragiles, des conditions de travail qui le permettent. Pour tenir le coup, pour garder le cap, pour ne pas perdre pied et pour faire face aux fluctuations et aux imprévus auxquels le monde d’aujourd’hui n’échappe pas. A minima, un contrat à durée indéterminé [2]. A minima, face à la complexification du métier, prendre le temps de construire des expertises et pouvoir les garder. A minima, mettre tout en œuvre pour que les travailleur·euse·s puissent rester du côté des gens. Pour cela, sortir de la recherche d’efficacité qui engendre l’exclusion des plus exclu·e·s, de ceux·celles qui ne s’en sortent pas assez vite et qui génère la perte de sens et l’essoufflement des travailleur·euse·s. A minima, s’assurer que le sens ne se perd pas et pour cela, qu’ils·elles ne passent pas plus de temps à justifier ou rassurer les administrations qu’à s’occuper des publics qui s’adressent à eux. A minima, organiser les conditions de travail pour permettre de déployer le soin. A minima, mettre les travailleur·euse·s dans des conditions de travail leur permettant d’offrir de la dignité.

Et là, peut-être, avec à minima cela, les métiers du soin retrouveront l’attractivité qu’ils méritent et dont nos sociétés ont besoin.

[1] Hamant

[2] En Région Wallonne, plus de 2 tiers des offres d’emploi adressées aux assistant·e·s sociaux·ales concernent des contrats à durée déterminée et de remplacement. Seule 1 opportunité sur 5 concerne un contrat à durée indéterminée.

 

 

Edito de Céline Nieuwenhuys,

Secrétaire générale de la Fédération des Services Sociaux